mercredi 2 janvier 2008

L’affaire Jacques MARLHINS

Les recherches généalogiques sont parfois longues et ingrates. Beaucoup de temps est consacré à la consultation des registres paroissiaux de l’ancien régime, à la recherche de l’ancêtre manquant. Pourtant, parfois, au détour d’une page, un acte sortant du commun vient pimenter cette recherche. On l’appelle « acte insolite ». Celui qui figure en fin d’un registre de St Julien LABROUSSE ( 07) en 1780 est bien de ceux là.

Cet acte n’a pas été rédigé par le curé du lieu mais envoyé par un greffier de la cour des Tournelles de Toulouse.

Voici la transcription de ce document :

« Nous greffier audiencier et garde sacs* de la chambre Tournelle du parlement de Toulouse certifions à tous ceux qu’il appartient que le nomme Jacques MARLHINS dit Saralier natif du lieu d’Issas** a été rompu a la place Saint Georges, le vingt deux septembre mil sept cent soixante neuf en execution d’un arret de la dite cour et que le verbal de sa mort est en notre pouvoir devers le greffe, en foi de quoy le presant est delivre pour le seulement a la veuve au dit Marlhins. Fait à Toulouse le vingt octobre mil sept cent quatre vingt .
Chamayon »

* Archiviste des pièces d’un procès
** Lieu dit de la commune d’Arcens (07)


LE JUGEMENT DE TOULOUSE

Ce document a été publié sur la liste de discussion « Racines ardéchoises ». Le sort de cet homme, le fait qu’on le retrouve à Toulouse, le fait que son décès soit mentionné en Ardèche onze ans après l’exécution a intrigué les participants du forum. Quelqu’un s’est demandé s’il serait possible d’avoir le jugement du tribunal de Toulouse pour savoir ce qui s’était passé, et voilà qu’un autre participant obtient ce document et le publie sur le forum. Pour lire le jugement de Jacques MARLHINS, cliquez sur le lien.

La transcription :

Transcription de l'Arrêt de la Chambre de la Tournelle - Parlement de Toulouse du 20 septembre 1769

Du vingtieme septembre mil sept cent soixante
neuf en la chambre d’accusation, présents
Messieurs Drouyn de Vaudeil premier président,Drudas, Cassand,
Fajote, Gauran, Carbon, Lavurry
Perés, St Félix, Novitat rappr. (pour rapporteur)
De Novitat

Veu le procés fait par les officiers ordres (pour ordinaires)
de Chalançon a la requette du procureur
juridictionnel dudit lieu contre Jacques Marlhins
accuzé d'assassinat et vol, prévenu prisonnier
aux prisons de la conciergerie appellant de leur
sentance contre luy rendue par les dits
officiers le 4 may 1767 et le dit Marlhins
oui sur la scelette en sa cauze d'appel.

Lire la suite de l'arrêt



LES DERNIERS MOMENTS DE JACQUES MARLHINS




Le crime commis par Jacques Marlhins va lui coûter le terrible supplice de la roue, avec la mort au bout.

Jacques traverse la ville de Toulouse dans la charrette du supplicié.

Il est conduit en premier lieu devant la cathédrale St Etienne de Toulouse, où un cierge dans les mains, il doit demander pardon de ses fautes à Dieu.


Puis la sinistre charrette le conduit à la place St Georges où a lieu son exécution. C’est là que se pratique cette macabre mise en scène, destinée à faire réfléchir le peuple. La place St Georges est devenue aujourd’hui un lieu de promenade et de détente .



Mais cette charmante place de Toulouse avec son jardin d’enfants n’a pas oublié ses heures noires du passé. Pas de mention de la mise à mort de Jacques Marlhins en ce lieu. Mais tout de même l’ancienne utilisation de la place St Georges est rappelée par le souvenir de Jean Calas, injustement condamné au même supplice de la roue, 20 ans avant Jaques Marlhins.


Jean Calas est connu par l’engagement de Voltaire pour sa réhabilitation.

Un petit square porte le nom de Jean Calas et une plaque rappelle l’injustice qui prévalue à son horrible supplice.


Voilà pour les derniers lieux que fréquenta Jacques MARLHINS en ce monde.

Mais qui était Jacques Marlhins, l’ardéchois ? Qu’avait-il fait pour en arriver à être condamné à mort ? C’est ce que nous avons cherché à savoir.


LA VE DE JACQUES MARLHINS


Le Jugement de Toulouse nous dit que Jacques Marlhins est né à Issas. La consultation de la base de données de L’IGN nous apprend que Issas et un lieu-dit situé dans la commune d’Arcens (07). Si l’on cherche dans les registres paroissiaux d’ Arcens on trouve bien la naissance de Jacques MARLHIENS le 28 juillet 1732. Il est baptisé dés le lendemain


Il est le fils de Augustin et de Marie Journal . On ne trouve pas de naissance d’un frère ni d’une sœur a Arcens. Pourtant il a bien au moins une sœur, Marianne, dont on trouve le mariage plus tard.

Jacques MARLHINS se marie avec Jeanne Marie REY le 15 septembre 1761 à St JULIEN LABROUSSE ( 07 )

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De cette union vont naître 3 enfants dont le dernier le 30 janvier 1766 ne vivra que trois jours. Jusque là , la vie de Jacques MARLHINS ressemble à toutes celles que l’on retrouve pour nos ancêtres. Alors que se passe t-il entre cette date du 30 janvier 1766 et la condamnation de Jacques le 4 mai 1767 par les officiers ordinaires de CHALANCON ( 07 ) ?
Le jugement rendu dans cette bourgade Ardéchoise devrait nous l’apprendre. Mais ce document, s’il existe encore, est introuvable aux Archives Départementales de l’Ardèche.

Généralement dans les actes de sépulture de l’époque, les curés mentionnent les causes de morts qui sortent du commun. Donc la consultation des actes de sépulture pour la période de janvier 1766 à mai 1767 s’impose.

Il n’y a pas à St Julien Labrousse durant cette période de mort violente mentionnée. Rien non plus de particulier dans les villages des environs ; St PRIX, St MICHEL D’AURANCE, LES NONNIERES , St BARTHELEMY LE MEIL , LE CHEYLARD. Le village de St JEAN-CHAMBRE n’a plus ses registres paroissiaux. Par contre à CHALANCON , au lieu même du jugement et village avoisinant St JULIEN LAROUSSE, on trouve bien un décès peu ordinaire. Le 2 mars 1766 on trouve sur le chemin qui va des Champeaux à Labro, le corps de Jeanne Marie MAZET, 33 ans demeurant au lieu de Gréas, paroisse de St JULIEN LABROUSSE


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Alors est-ce le meurtre de Jeanne Marie MAZET qui vaudra à Jacques le terrible supplice de la roue ? Nous ne le savons toujours pas pour l’instant.

Le jugement du parlement de Toulouse fait mention de la complicité de Jean TESTARD, que "la justice recherche toujours". Cette famille TESTARD également originaire de St JULIEN LABROUSSE, elle est même alliée a la famille MARLHINS . Marianne MARLHINS , la sœur de Jacques épouse le 11 mai 1762 Jean Jacques TESTARD.


La dernière information que nous livre les registres paroissiaux de St Julien LABOUBROUSSE est le remariage de Jeanne Marie REY , la veuve de Jacques, avec Jaques TROUILLER le 16 mai 1781. C’est pour ce mariage qu’elle a eu besoin de la mention du décès de son premier mari, mention que l’on a retrouvée dans le registre de St Julien Labrousse ;

C’est « l’acte insolite » qui est au départ de cette histoire .

Cet article est le fruit d'un travail collectif : Maryse DUPLAN, Gérald DURAND, Raymond PERIADES, Alain TOURVIEILLE y ont participé.

Merci également à :

- Andrée MUSCAT pour les photos de Toulouse
- Renée TOURVIEILLE pour les recherches aux AD de Privas
- Fabrice ANDRIEUX et Gérard BONNEHON, membres de l'EGMT, pour leurs recherches aux AD de Toulouse.

Article rédigé par Alain TOURVIEILLE

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Bravo pour cette étude à partir d'un acte insolite. J'aime le principe et la démarche... Est-ce qu'il vous serait possible de préciser les références (cote d'archives) du document du Parlement de Toulouse ? De même, pourriez-vous préciser les séries que vous avez consultées aux AD de Privas pour rechercher en vain le jugement rendu à Chalancon (série B, je suppose) ? Merci, Amicalement, Thierry Sabot

Anonyme a dit…

Bonjour,

Petites rectifications : Jacques Marlhens est dit Saralier (et non Saratier) et sa mère est Marie Journal (et non Sournal, patronyme qui, à ma connaissance, n'existe pas en Ardèche). On trouve Sar(r)alier comme patronyme et toponyme (hameau de Burzet).

Un élément de consolation toutefois pour ce pauvre Jacques : il y a au bas du jugement de Toulouse un addenda qui n'a pas été transcrit et qui stipule : "Sera ledit Marlhins dit Saralier préalablement étranglé". Il n'a donc pas "trop" souffert !

Il se trouve que ce Jacques Marlhens est le frère d'une de mes ancêtres. Un grand merci donc à mon cousin Alain Tourvieille et à tous ceux qui l'ont aidé dans cette enquête passionnante.
J'ai "flashé" sur le patronyme en lisant l'article car j'avais une Catherine Marlhens x Antoine Testard, couple que je ne remontais pas. Après quelques recherches, j'ai pu localiser leur mariage et ils ont bien les mêmes parents : Augustin Marlhens et Marie Journal du lieu d’Issas (Arcens).

Ce couple a eu au moins quatre enfants :
- Catherine qui épouse Antoine Testard le 11/05/1745 à St-Michel-d'Aurance (p 17)
- Jeanne-Marie née le 25/01/1731 à Arcens (p 135)
- notre Jacques né le 28/07/1732 à Arcens (p 144) qui épouse Jeanne-Marie Rey le 15/09/1761 à St-Julien-Labrousse (p 51)
- Marianne (née vers 1733 d’après son âge au décès) qui épouse Jean-Jacques Testard le 11/05/1762 à St-Julien-Labrousse (p 62) et qui décède le 14/04/1776 à St-Michel-d'Aurance.

Le mariage d’Augustin Marlhens et Marie Journal a eu lieu avant le 24/01/1729, date à laquelle ils sont parrain et marraine de Françoise Marlhens, fille d’André (probablement un frère d'Augustin) et Jeanne Roche d'Issas (b p 121). Les mariages des deux frères ont dû avoir lieu ailleurs... mais où ??
Augustin est né le 09/03/1692 à Arcens (b p 58) fils de Jean Marlhens et Madeleine Besson mariés le 31/01/1690 à Arcens (x p 40), lui-même fils de Pierre Marlhens d'Issas, serrurier.

Les deux beau-frères Testard de Jacques Marlhens sont parents entre eux : Jean-Jacques x Marianne Marlhens est le neveu d'Antoine x Catherine Marlhens. En effet, Jean-Jacques est le fils de Jacques Testard et Isabeau Bouschet et leur x le 11/07/1737 à St-Michel-d'Aurance ( p 271) indique que ce Jacques est, comme Antoine, le fils de Pierre Testard et Isabeau Avenas.
Ces Testard sont tous du lieu de Sarny (St-Barthélémy-le-Meil).

Pierre Testard et Isabeau Avenas ont eu au moins 11 enfants (je ne trouve que 9 baptêmes entre 1714 et 1733 à St-Barthélémy-le-Meil car il y a un trou entre 1700 et 1713) et Isabeau AVENAS est décédée le 10/03/1736 à St-Barthélémy-le-Meil.

Parmi les enfants de ce couple, on trouve deux Jacques Testard. Le premier, déjà cité ci-dessus car il est le père de Jean-Jacques, est décédé avant le mariage de ce dernier le 11/05/1762. Le deuxième né le 07/01/1733 à St-Barthélémy-le-Meil (p 46) me semble être un candidat idéal : 3 ans de plus que notre Jacques Marlhens et avec des liens forts entre les deux familles.

A suivre...

Cordialement,

Pascal Chambonnet


En résumé sur les pièces du procès :

L'arrêt de Toulouse précise :
"Vu le procès fait par les officiers ordinaires de Chalancon à la requête du procureur juridictionnel dudit lieu contre Jacques Marlins accusé d'assassinat et vol, prévenu prisonnier aux prisons de la conciergerie, appelant de la sentence contre lui rendue par les dits officiers le 4 mai 1767..."

Il me semble qu'on doive comprendre qu'il y a eu un premier jugement aux ordinaires de Chalancon le 4 mai 1767, procès dont notre Jacques Marlhens a fait appel (puisqu'il est "appelant" de cette sentence) et que le document trouvé est la confirmation de la sentence par la cour d'appel de Toulouse. Hypothèse à valider par des spécialistes du système judiciaire de l'époque.

Les pièces du premier procès devraient en principe se trouver en série B aux AD de Privas. D'après Alain Tourvieille elles n’y sont pas. Ça n’est pas étonnant car cette série est hélas assez incomplète, peu de choses ayant été conservées de la justice ordinaire, mais rien n’interdit d’y regarder à nouveau...
Il se peut aussi que les pièces du premier jugement aient été transmises à Toulouse pour instruire l'appel.

Il faut à mon avis rechercher à Toulouse s’il n’y a pas, à part cette sentence non motivée, d’autres pièces de l'appel… mais les autres documents du procès n'ont peut-être là non plus pas été conservés !

Pascal Chambonnet

Frederique Imbert a dit…

Bonjour Thierry, Bonjour Pascal,

Thierry, dès que j'ai un moment je me rapproche de nos amis de Toulouse pour qu'ils me transmettent les références exactes de l'arrêt. Tu as entièrement raison de le souligner.

Pascal, merci pour toutes les précisions apportées : cette histoire devient terriblement prenante ! :-)

La saga de Jacqes Marlhins, le malheureux roué de la place st Georges continue ...

Amicalement à vous deux

Frédérique

Anonyme a dit…

Je relis le récit de la terrible fin de Jacques Marlhins, si bien racontée, avec émotion et réalisme, par Alain Tourvieille et il me vient l'envie de vous faire partager une lecture dénichée au hasard du net.

"
Mécaniquement, Quidam enfile son pantalon et une chemise blanche, lace ses chaussures. Le cortège se met en route et s'arrête dans une petite pièce, où l'aumônier s'entretient seul avec Quidam. Au bout de quelques minutes, l'aumônier trace un signe de croix devant Quidam et lui donne l'absolution. Puis le gardien chef lui tend une feuille de papier et un stylo, pour écrire, s'il le souhaite, à sa mère. L'exercice est difficile pour Quidam, qui s'applique en tirant la langue. Puis l'exécuteur entre avec une paire de ciseaux et découpe le col de la chemise de Quidam et les cheveux qui recouvrent la nuque. Il lui tend ensuite une cigarette, qu'il accepte, et lui propose un verre de cognac, qu'il accepte également. Sa main tremble de plus en plus. Il le boit très lentement, essayant de retarder l'inévitable. Dans le couloir, personne ne dit un mot, les regards s'évitent, le directeur d'établissement regarde régulièrement sa montre.

Il finit par faire signe au gardien chef, qui entre avec ses deux hommes, qui prennent chacun fermement un bras de Quidam. Le gardien chef lui lie les poignets dans le dos.

« Non... » dit-il d'une voix étranglée. Les gardiens le sortent de la pièce, font une pause devant l'avocat.

« Votre... Votre maman me fait vous dire qu'elle vous aime. Elle vous aimera toujours. » Sa voix se brise à cause de l'émotion. Les yeux de Quidam s'emplissent de larmes, et il dit « Merci... Dites lui que je l'aime aussi » en souriant. Sur un signe de tête du directeur d'établissement, les gardiens conduisent Quidam dans la cour, où attendent les deux assistants de l'exécuteur.
Tout le monde sait qu'à partir du moment où le prisonnier voit la guillotine, il faut aller très vite. Les gardiens le plaquent contre la bascule. L'exécuteur se place à côté du montant droit, près du déclic, le levier qui libèrera le mouton, le poids où est fixé le couteau. L'un des assistants se place face à la lunette, derrière le paravent de bois, qui le protègera des éclaboussures. Le troisième, voyant tout le monde en place, fait pivoter la bascule et la pousse sur des roulements qui amènent la tête au-delà de la lunette. L'exécutant en chef laisse tomber la partie haute de la lunette, qui en écrasant la nuque étourdit le condamné. L'assistant situé en face du condamné, qu'on surnomme le photographe, saisit la tête entre ses mains. L'exécuteur en chef abaisse le déclic. Un bruit de roulement, puis comme un coup de marteau sur une planche, suivi de deux bruits d'éclaboussure : deux jets de sang ont giclé de chaque côté sur les pavés de la cour.

L'assistant soulève un côté de la bascule à peine le couteau tombé et fait chuter le corps dans la corbeille. Le photographe y dépose la tête et referme le couvercle. Le gardien chef présente au chef d'établissement le procès verbal d'exécution, qu'il signe puis remet au représentant du parquet.

« C'est terminé. Merci, messieurs. » conclut le chef d'établissement.
"
.../...

C'était un peu avant le 9 octobre 1981.

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L'article est ici :
http://www.maitre-eolas.fr/2006/10/09/442-ca-se-passait-comme-cela