mercredi 19 décembre 2007

L'histoire de Paul et Claude, petits bergers en vadrouille


St Laurent-sous-Coiron

Disparition de deux pupilles de l'assistance publique



Mais quelle mouche a piqué ces deux petits bergers lorsque, leur rêve pour seul bagage, ils se sont enfuis de leurs paturages, en ce mois de juillet 1911 ?

Désir de visiter le monde ? Un monde à quelques kilomètres ou un monde bien plus lointain ?

L'histoire gardera le secret de Paul et Claude, ces deux enfants dont un article du Journal de Privas signale la disparition, en juillet 1911 . Nous ne saurons probablement jamais ce que sont devenus les deux garçonnets ni ce qui les a incités à s'enfuir. A moins qu'un lecteur ne reconnaisse en eux l'un de ses ancêtres ... Sait-on jamais !



Je peux seulement maginer leur histoire


Imaginer qu'ils ont eu envie d'ailleurs, de paysages nouveaux, de villes peut-être, de boutiques animées, de jupes colorées qui virevoltent le long des jambes des jolies filles, des envies de rires, de bruits, de rues pavées sur lesquelles claquent les galoches de gamins enjoués qui se poursuivent dans les rires et les cris ; envie d'un monde neuf où, à n'en pas douter, il leur arriverait quelque aventure extraordinaire qui viendrait rompre la monotonie des mornes journées partagées entre les heures d'école et celles passées dans le silence des montagnes.



Levés aux aurores pour s'occuper des bêtes, puis journée d'école, travaux des champs, journées lourdes et monotones pour ces petits gaillards de 11 et 14 ans, qui ont envie de chahut là où ils ne trouvent que la discipline imposée par le Maître ou le grand silence des montagnes. Qu'a-t-on à faire du calme des montagnes lorsqu'on est à l'age des bétises ?




Le plus jeune s'appelle Paul Lucchesi, il a 11 ans, il est né à Marseille de parents inconnus. Le second est son aîné de trois ans, son nom est Claude Maisoneuve, lui aussi est un enfant de l'Assistance de Marseille. Recueillis tous deux par les bonnes oeuvres de l'Abbé Fouque, ils ont été placés en Ardèche. Paul chez Monsieur Chirouse et Claude chez Monsieur Marnas, tous deux propriétaires à St Laurent-sous-Coiron.

Mais par une belle journée de juillet, voilà que Paul et Claude décident de s'enfuir. Tous deux ont pourtant déjà connu l'exil, bien des années avant . Oh, pas un grand exil ... pas d'océans traversés, ni de frontières franchies ... Mais, tout de même, de Marseille à l'Ardèche, pour un petit enfant de l'Assistance, c'est le bout du monde ! Qu'ont-ils donc trouvé, dans leurs familles ardéchoises toutes neuves, lorsque ils sont arrivés de leur ville natale ?

Quel accueil leur a-t-on réservé ? Ont-ils eu la chance de trouver enfin le foyer chaleureux qui leur ferait oublier l'âpreté de l'orphelinat ? J'ai envie d'imaginer de belles maisons en pierre du pays, un peu en bordure du village, donnant sur les champs à perte de vue, dans lesquelles des familles au grand coeur auraient reçu les deux enfants et les auraient pris avec eux, leur apportant affection et soin comme s'ils étaient leurs propres enfants. Mais l'histoire ne dit pas ces choses-là.

L'Histoire, celle des livres, parle de choses autrement pragmatiques : livrets définissant les modalités des placements, textes de loi (entre autres, la loi du 23 décembre 1874) posant les droits mais aussi les devoirs des familles chez lesquels les enfants étaient placés.

Une rémunération mensuelle, des primes, des compensations financières, un trousseau, mais en échange de devoirs très clairement définis par les textes et qui doivent être respectés. Les nourrices et le chef famille sont d'ailleurs contrôlés, par le médecin contrôleur, par le maire de la commune ou encore par des agents de l'assistance publique. Par exemple, si l'enfant n'est pas vacciné, la nourrice à l'obligation de s'en préoccuper. L'éducation complète de l'enfant est confiée à ces fermiers. Il ne s'agit pas simplement de les nourrir et de les faire travailler aux champs. Le "père" doit être bienveillant et soucieux de l'assiduité de l'enfant à l'école (de l'age de 6 ans à 13 ans). Des primes sont d'ailleurs attribuées aux familles dont les enfants placés auront atteint un niveau d'études satisfaisant. Le chef de cette famille "recomposée", dirions-nous aujourd'hui, devra également répondre de l'éducation religieuse de l'enfant et veillera à ce qu'il fasse sa première communion.

Tout est prévu par les textes, le carnet de nourrice (Sevreuse ou Gardeuse), les livrets personnels, pour que l'enfant reçoive une éducation très complète dans laquelle rien n'est laissé au hasard.

Un beau témoignage m'a été confié, le Certificat délivré par le Maire à une Nourrice, en 1887, au titre de "La protection des Enfants du 1er Age".

Mais, hors du cadre des textes, dans la réalité du quotidien, que se passe-t-il vraiment au sein de la famille ? Comme dans n'importe quelle famille, personne d'autre que les intéressés ne le savent. Du pire au meilleur, tout est envisageable.

Revenons à Paul et Claude, nos deux petits bergers. Que savons-nous d'eux ? Nous savons seulement qu'ils ont été "placés" à la campagne et qu'ils sont tous deux chargés de veiller sur les troupeaux.

Alors, pourquoi s'enfuit-on lorsqu'on a 11 et 14 ans, si l'accueil est bon, le fermier honnête et juste, la soupe bien faite et les bras de la "mère" accueillants ? Que fuit-on ? Le travail était-il trop dur ? Il faut se resituer dans le contexte de l'époque et ne pas oublier que l'enfant n'a pas toujours été protégé et considéré comme il l'est de nos jours. Même si en ce début du XXème siècle, ce n'était plus "l'enfant esclave" comme par le passé, et que de grands progrès avaient été faits dans le regard qu'on lui portait, même si l'évolution était en marche, il était encore, et pour longtemps, l'enfant mis au travail très tôt et dont la force physique était utilisée dès que possible.

Le labeur était éprouvant pour ces enfants jeunes; les journées étaient longues, les nuits courtes. La mode d'antan n'était pas encline aux démonstrations de tendresse ni aux gâteries superflues. On se bornait à l'essentiel : travailler, apprendre, manger, dormir. Non par dureté particulière de l'âme mais simplement parce que le paysan lui-même travaillait bien trop dur pour avoir l'esprit à considérer l'enfant autrement que comme deux bras supplémentaires utiles à la ferme et, on ne peut pas ne pas y penser, comme une source de revenus régulière.

Alors, ont-ils fui la rudesse du travail aux champs ou simplement la routine d'une vie trop monotone ? Les deux, probablement.... A 11 ans, Paul est encore à l'école, mais Claude depuis ses 13 ans révolus n'est plus tenu d'y aller et passe ses journées dans les collines, avec ses troupeaux. Langueur d'une vie au rythme incompatible avec l'impétuosité de deux enfants débordants de vitalité et d'imagination.


Peut-être Paul et Claude se sont-ils enfuis simplement parce qu'ils sont à l'âge où l'envie de découvrir le monde est plus forte que tout. Ont-ils mûri leur projet, jour après jour, dans le secret de leurs collines, ou bien sont-ils partis sur un coup de tête ? Nul n'en saura jamais rien. Ils rêvent... ils savent bien au fond d'eux qu'il ne sera pas facile de mener à bien ce projet complètement fou et que les gendarmes se mettront en quête dès la disparition signalée... Paul et Claude savent bien qu'une miche de pain et quelques pommes ne suffiront pas pour survivre bien longtemps... et que le soir il leur faudra dormir sous les étoiles, mais peu importe. Ils ont la tête ailleurs et font semblant de ne pas savoir que l'été ne durera pas toujours... On sait tout à fait ces choses-là, à 11 et 14 ans, quand on est un petit berger débrouillard, venu de l'assistance de Marseille. Et pourtant, un beau jour, défiant la raison, on s'enfuit.

L'article du Journal de Privas dit que Claude a un oncle à Firminy (dans le Massif central entre l'Auvergne et le Forez, à la limite du Velay ) ... peut-être s'y sont-ils rendus ? Ou au contraire peut-être ont-ils évité prudemment Firminy afin de ne pas être pris par les gendarmes et poursuivre leur escapade vers la grande liberté.


J'aime imaginer que Claude et Paul ont été retrouvés en bonne santé et qu'ils n'ont pas été trop rudement punis pour avoir rêvé tout haut et donné forme à leur désir d'enfant. Je ne veux pas envisager qu'ils ont peut-être fait de mauvaises rencontres dans les chemins de traverse, qu'ils ont pu souffrir cruellement de la faim, du froid ou de quelque fièvre maligne, ou encore que quelques années plus tard, ils ont pu être pris dans les mailles serrées d'une guerre cruelle.

Les deux petits bergers ont gardé leur secret.

Article rédigé par Une du Teil

Merci à
Sandrine Penjon, Christiane Peyronnard, Raymond Periades pour les documents qu'ils m'ont transmis et grâce auxquels j'ai pu étayer mon texte.


Sources utilisées :
* Loi du 23 décembre 1874.
* Carnets de nourrice.
* Livrets personnels .
* AD07 - Revues en ligne "Le Journal de Privas" .

3 commentaires:

Monique Lambert a dit…

Je ne suis pas certaine que la loi de 1874 concernait les enfants de plus de 12 ans.
Si elle ne les concernait pas, voici quel était le sort de l'enfant de plus de 12 ans: il revenait dans hospice d'origine. On essayait de le placer quelque part. Ou il restait chez son gardien. Dans ce dernier cas, le gardien ne percevait aucune rémunération. L'enfant par son travail compensait les frais de son hébergement.
Ceci jusqu'à sa majorité.
A situer dans le contexte de l'époque. Le meilleur et le pire sans doute.

Anonyme a dit…

Trés intéressant et émouvant cet article. On peut se demander si une bonne voie pour retrouver ces enfants ne seraient pas les papiers militaires qu'il faudraient chercher à Marseille. La consultations des registres matricule qui est rapide permettrait de voir s'il n'y sont pas inscrits. Au lendemain de la grande guerre, comment de jeunes hommes pouvaient échapper aux autorités militaires. Cela parait inconcevables. Mais leur cas est particuliers sont-ils revenus passer leur conseil de révision à Marseille ??
Claude MAISONNEUVE doit appartenir à la classe 1918 il a sans doute fait la fin de la guerre. Paul LUCHESI doit appartenir à la classe 1920. Ceci a un plus ou moins 1 ans.
Sur le site MEMOIRE DES HOMMES on trouve un Auguste André César LUCHESI né le 27/1/1886 dans les Bouches du Rhones; un frère peut-être de Paul dont il serait intéressant de retrouver les actes de naissances et les mentions marginales s'il y en a....
Alain

Anonyme a dit…

Je voudrais tenter de retrouver la trace de nos deux petits bergers. Ca ne va pas être chose aisée, mais qui sait ... peut-être que j'y arriverai ?
Je vais commencer par farfouiller du côté des archives de l'Assistance Publique de Marseille.